- "L'enfant et le Cheval" - Publication de Fabienne Kutten

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L'Enfant et le Cheval (Cahier de l'Animation Octobre 2015)

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Dans de nombreux projets pédagogiques d'ACM, on peut lire des intentions telles que « favoriser l'autonomie de l'enfant ››, « inciter l'enfant à especter autrui ›› ou encore « faire que l'enfant puisse s'ouvrir aux autres et au monde qui l'entoure ››... Autant d'intentions louables qui peuvent rester floues pour l'animateur-trice confronté-e à des activités organisées dans un cadre extérieur et encadrées par des spécialistes. ll peut s'agir de la piscine, du roller, du ski, de l'accrobranche, du poney...

Souvent ces activités sont imposées par le fonctionnement et l'animateur-trice n'a parfois pas choisi d'accompagner les enfants et il ne sait pas vraiment quelle place il peut ou doit prendre. Humain, il est lui-même victime de ses préjugés sur l'activité, en fonction de son histoire et de son expérience positive ou négative.

L'exemple des activités équestres introduit non seulement l'enseignant spécialisé (Brevet d'État ou diplôme fédéral) mais aussi et surtout le tiers animal, vivant et communiquant à sa façon. Et si, pour l'animateur généraliste, il s'agissait de regarder ces activités sous un autre angle ? Si on essayait d'y voir quels sont les intérêts pour l'enfant et du coup, comment elles peuvent nous aider, nous « éducateurs ›› au sens propre du terme, à entrer en relation avec cet enfant, grâce au médiateur à quatre pattes. Les anecdotes qui vont suivre sont des témoignages véridiques à travers lesquels les animateurs-trices vont reconnaître moult jeunes qui fréquentent nos ACM. Plus que la technicité de l'activité, c'est la situation éducative qui est au coeur de chacune des situations décrites.

Fabienne Kutten

Précisions

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Cheval, double-poney, poney ?

ll s'agit bien de la même espèce.

La différence tient à la taille. Lorsque l'on parle d'un poney, la plupart imaginent un << shetland ›>, une sorte de cheval miniature, un mètre au garrot, avec un gros ventre et de petites pattes, compagnon idéal de l'enfant. Or le poney est un poney jusqu'à 1,48 m au garrot. Un adolescent, un adulte, peuvent monter à poney sans avoir les pieds par terre ! Pour aider notre cerveau à envisager cette possibilité on parle de << double-poney ›› !

Les tailles sont classés par lettre, du plus petit A au plus grand D. Et un cheval est considéré comme tel à partir d'1,49 m au garrot soit un centimètre de plus que les plus grands poneys.

1. L'Enfant et le Cheval : Quand l'enfant rencontre le cheval

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ll était une fois, après guerre(1), un vétérinaire bordelais qui s'était aperçu que beaucoup d'enfants s'en remettaient à lui, le cœur plein d'espoir et les yeux pleins de larmes, lui confiant la vie d'un lapin de ferme maigrichon, d'un chat de gouttière, d'un petit chien ; un petit compagnon animal qu'ils nommaient leur frère, leur soeur, ou leur(e) meilieur(e) ami(e)...

Ange Condoret (2), c'était son nom, s'intéressa alors à cette relation étrange qui unissait deux êtres fragiles et souvent laissés pour compte par la société de l'époque : l'enfant et l'animal.

Il se rendit compte que le lien entre les deux était très fort et « humanisé ›› quel que soit l'animal : un oiseau, une tortue, un chien, une vache... Que les deux avaient en commun un langage non verbal qui leur permettait de se comprendre sans parole, et que si des mots étaient dits, l'enfant faisait de l'animal un confident. « Qu'à la différence des adultes (de l'incompréhension desquels |'enfant souffre), l'animal ne grondait pas, n'exigeait pas, et n'attendait pas le meilleur de l'enfant ››(3).

Il était une fois l'homme, au temps des cavernes, dont la vie dépendait de la bête, de sa viande pour la nourriture, de sa fourrure contre le froid. La mort était aussi souvent liée à l`animal, le chasseur risquant un coup de sabot de la bête qu'il pourchassait, les enfants étant des proies potentielles pour les prédateurs carnivores. Cette réalité archaïque s'est ancrée dans notre inconscient collectif.

Du coup notre rapport à l'animal n'est pas neutre. On l'aime, on l'adore, ou on en a peur. Parfois un peu des deux. En tous cas, il vient facilement à la bouche de chacun une anecdote de frayeur ou de plaisir, de peine ou de joie liée à un animal quel qu'il soit. Parmi tous ces animaux qui attirent les enfants, il en est un qui fait toujours mouche, même auprès des adultes. Un animal qui évoque un passé commun, et une utilité pas si lointaine. Une bête qui ranime les fantasmes de liberté et de puissance, souvent perçue comme un symbole de richesse, car le seigneur l'utilisait de toute sa hauteur... il était une fois... le cheval !

1. Seconde Guerre mondiale : 1939-1945.

2. Ange Condoret (1923-1993) a écrit I L'Anima/ compagnon de I'enfanr, Fleurus, 1973 ; Compagnons pour la vie, Solar, 1970 ;

Ce cheval dans ma maison, La Pensée universelle, 1981.

3. ln L'AnimaI compagnon de I'enfant, Ange Condoret, p.190.

2. L'enfant et le Cheval : Arthur, l'enfant turbulent

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On le dit débordant d'énergie ou carrément hyperactif. ll a du mal à tenir en place. Il est toujours << cap' ›› de faire plus fort, plus vite ou plus haut que tous les autres. Le cheval peut lui permettre de réaliser ses rêves ou de se confronter à la réalité et/ou de s'apaiser.

La voltige pourra être un bon outil.

Le cheval tourne sur un cercle de 15 mètres de diamètre, il a un gros tapis sur son dos et une grosse ceinture à poignées à la place de la selle (le surfaix). L'animal est relié au moniteur par une grande longe (lien physique qui peut avoir une importance symbolique).

C'est l'enseignant, au centre du manège, qui va gérer l'allure du cheval et la direction. L'enfant cavalier n'a besoin de s'occuper que de lui-même, d'accueillir les sensations.

Arthur peut donc galoper, bien que ce soit la première fois qu'il monte à cheval. ll peut goûter à la vitesse, il se tient aux poignées pour assurer son équilibre et sent le dos de sa monture qui s'éleve sous ses fesses. Revenu au pas, Arthur peut s'allonger à l'envers, le buste et la tête reposant sur la croupe moelleuse et chaude de l'animal. L'avancée successive des jambes arrière fait doucement dodeliner le crâne d'Arthur. C'est chaud, ça berce.

Arthur ferme les yeux. Sans le savoir il redevient un bébé dans les bras de sa maman. Cest le « Holding ›› : le parent qui tient contre lui son enfant, lui permettant ainsi de tempérer des excitations si intenses que son petit cerveau n'y résisterait pas.

C'est le « Handling ›› : l'appré-hension des éléments extérieurs tels que la chaleur du corps du poney, le doux et piquant de son poil, qui font que l`enfant découvre les limites de son propre corps.

(Re-)Vivre ces fonctions maternelles dont parle Winnicott (1), par le biais du cheval, permettent à Arthur de repartir sur de bonnes bases, de se ressourcer.

(1). Winnicott (1896-1971), pédiatre, psychiatre, psychanalyste, à l'origine de concepts tels que « la mère suffisamment bonne ›› et « l'objet transitionnel ››.

ll s'agit ici des fonctions maternelles indispensables au développement harmonieux de |'enfant.

3. Bachira, l'enfant qui manquait de confiance en elle

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Quoi qu'on lui demande elle commence toujours par dire : « J'y arriverai pas ››ou : « Oh non, c'est pas possible. ›› Avec elle, il s'agit de valoriser des exploits à sa portée, afin qu'elle puisse s'appuyer sur ses réussites et petit à petit remplir son sac à dos de choses positives. Bachira est très grande, elle pourrait monter un double-poney, et d'ailleurs elle voudrait bien monter sur Maroc qui a la couleur pie comme le cheval des Indiens. Mais arrivée au sommet du tabouret qui sert de montoir, sa respiration s'accélère, ses jambes tremblent et au bout de cinq minutes de combat avec elle-même, elle renonce, déçue 1 « De toutes façons, j'suis nulle ››.

Alors elle veut bien essayer Loulou, c'est un petit poney shetland, mais pie comme Petit Tonnerre de Yakari. Elle arrive à vaincre sa peur et à monter sur son dos. Ses pieds touchent presque le sol mais quand le poney bouge, il faut encore dix bonnes minutes à Bachira pour retrouver

une respiration régulière.

Puis elle arrive à se pencher en avant pour caresser son poney. Et finalement elle parvient à le faire suffisamment pour saisir les étiquettes illustrant les ingrédients posés sur des plots, afin de les ramener à |'autre bout du manège, dans la marmite. Elle prendra garde de choisir uniquement ceux que les poneys sont susceptibles de manger.

Un jour Bachira montera Maroc. Un jour elle se mettra debout dessus et même un jour elle sautera au sol, sans qu'on la tire, d'elle-même, parce qu'elle aura suffisamment confiance en elle, réussites après réussites.

4. Camille, la toute puissante

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Camille commande. Camille ordonne. Tout le monde doit s'exécuter devant elle pour éviter ses cris, ses colères, voire ses coups.

Camille doit aller chercher son poney au pré. ll broute. Elle court pour l'attraper, sûre d'elle, ce n'est qu'une formalité, mais son agitation fait peur au poney qui se sauve plus loin et va manger ailleurs : il n'a pas envie d'aller travailler, pas tout de suite en tous cas.

Camille doit se calmer, souffler, et aborder le poney par le côté, calmement, comme on le lui a appris. Elle met la longe au licol toute seule et... tire son poney comme un chien en laisse pour qu'il sorte du pré. Mais arrivé près de l'écurie où elle doit l'attacher pour le panser, il y a une belle place d'herbe bien verte, bien haute, bien appétissante. Camille n'y a pas fait attention toute occupée qu'elle est à tirer son poney.

Finalement, c'est lui qui la tire, qui utilise sa force pour lui expliquer SA volonté à lui. La réalité c'est que le poney a encore faim et qu'il n'aime pas du tout qu'on le brusque. Camille crie après lui, elle l'insulte mais il broute toujours, indifférent aux cris et aux injures. Camille est frustrée, quelqu'un doit venir l'aider à sortir son poney de l'herbe... ou pas, pas tout de suite en tous cas, afin de lui laisser mobiliser en elle toutes ses ressources, tout son savoir et ses connaissances, afin de trouver une autre solution que la tem pête à laquelle elle a systématiquement recours. Parce qu'elle est capable de faire autrement, elle a bien réussi à trouver la bonne attitude pour attraper le poney au pré ! Peut-être que l'aide de l'adulte se résumera juste à lui rappeler ce moment, pour l'aider à se souvenir qu'elle sait être autre.

5. Les enfants qui ne savaient pas communiquer entre eux

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Daisy, Emma ont déjà appris à monter comme des Indiens sur le bidon en fer qui simule le cheval. Emma, la plus jeune arrive quand même à aider Daisy sa grande sœur en lui faisant une sorte de « courte échelle ›› en lui tenant le genou et la cheville.

Daisy doit dire à haute voix << taper ›› pour prendre de l'élan en l'air puis « sauter ›› pour basculer en avant, tel l'indien saisissant la crinière du cheval pour le monter à cru. Si le bidon fait un bruit de ferraille c'est que les fesses de Daisy sont arrivées trop brusquement et que ça ne serait pas agréable pour le cheval.

Maintenant les enfants sont dans le manège, Snoopy le cheval de voltige est au pas sur le cercle, Francis est déjà assis à l'envers, figure tournée vers la croupe de l'animal, sur l'encolure. ll a calé ses pieds dans les courroies du surfaix et va réceptionner la grande Daisy qu'Emma aide à monter. Une fois à cheval, Daisy et Francis se penchent pour attraper les bras de la petite Emma. Elle va se retrouver debout entre eux deux. Puis elle va tenir les épaules de Francis, mettre sa jambe droite sur l'epaule de Daisy. La grande sœur va aider Emma à soulever sa jambe gauche en l'air. Francis, qui doit être un mur inébranlable, gaine ses abdos et met ses mains sous les aisselles d'Emma pour la soutenir. Daisy dit << 3 ››, c'est le signal pour dire << Stop, j'en peux plus. ›› ll faut défaire la figure, redescendre Emma de son perchoir doucement sur le dos de Snoopy.

Pour en arriver là, ils ont dû se parler : << J'aime pas quand tu me tiens les bras, ça me fait mal. ›› « Et si je te tiens sous les bras, c'est comment ? ›› lls ont dû se coordonner 1 « Emma tu dois me donner de l'é|an quand je dis "sauter", sinon j'y arrive pas. ›› Ils ont dû expérimenter : « Attention ça tombe ! C'est trop long, je ne peux pas porter plus ! ›› « |\/le lâchez pas hein ! C'est haut, j'ai peur de tomber! ››

6. Des jeunes qui découvrent les parties de leur corps ... et tant d'autres choses

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Guillermo brosse son poney avec Héléna son animatrice. lls ont choisi de commencer par une étrille pour « mettre le bazar dans les poils ›› ou « mettre les poils en hérisson ››. Une brosse à la main, l'autre main dans les poils, c'est doux. Guillermo commence en face de lui, là où il se sent en sécurité, au milieu... Parce que quand le poney tourne la tête et le regarde, Guillermo a un peu peur. Il est grand cet animal, sa tête arrive juste à la hauteur de celle du petit garçon.

Héléna se positionne à l'avant du poney et met sa main sur celle de Guillermo pour lui montrer comment brosser le... le quoi ? Comme ça s'appelle ça ? << Le cou ! ›› s'e×clame Guillermo. « Oui c'est le cou du poney, il est où le tien ? ›› Puis il brosse le poitrail, enfin, surtout Héléna parce que c'est trop près de la bouche pour Guillermo. « Le poitrail ça corres pond à quoi sur ton corps à toi ? ›› demande Héléna.

« C'est la poitrine, mais moi ch'ui pas une fille j'ai pas de poitrine. ›› répond-il. «Tu n'as pas de seins, de nénés, mais tu as une poitrine, elle est où ? Regarde bien où ça se situe sur le poney. ››

Et Ismaël, à côté, demande : « Et c'est où les nénés du poney ? ›› et Julia rétorque : « Ton poney c'est pas une fille, c'est un étalon. ›› Héléna regarde avec eux sous la queue puis sous les jambes arrière... De fil en aiguille, de brossages en questions les enfants apprennent les choses de la vie, simplement.

7. Karim qui avait trop peur ...

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Trop peur pour monter sur le cheval et même sur le poney. Trop peur pour le toucher, pour le brosser. Karim avait peur et tout ses copains de collège se moquaient. Mais il était curieux, il observait beaucoup. Alors Luc, le moniteur, lui proposa de mettre Maroc en liberté dans le manège, comme au cirque, et de transformer Karim en domp teur.

Karim a fait des expériences avec Luc et Maroc. Si Karim était dans l'es pace derrière le poney, celui-ci avançait et parfois trottait. Avec une

chambrière, Luc lui a montré comment faire galoper Maroc, comme ça, à pieds... et puis si Karim se mettait devant, Maroc s'arrêtait et même parfois faisait demi-tour...

Et Karim qui avait peur et dont tout le monde se moquait s'est transformé en dompteur de poney. Il a pu montrer à ses copains combien il était devenu magicien, communi quant avec Maroc sans mot et sans monter dessus !

Si la relation à l'animal n'est pas neutre, le rapport au cheval est loin de l'être également. Dans un documentaire d'Equidia Le Cheval miroir du cavalier, une psychologue soulignait avec amusement que « le cheval ça demandait du temps, de l'énergie, ça coûtait de l'argent et ça ne rapportait rien financièrement parlant, et pourtant si on continuait d'en élever et de monter à cheval, c'était bien qu'il nous apportait quelque chose, quelque chose d'autre, sur un autre plan, du point de vue psychique... ››

La France est un des rares pays à avoir démocratisé la pratique équestre, à y avoir introduit la pédagogie sur poney que l'on nous envie à l'étranger, et à avoir multiplié les disciplines (saut, cross, dressage, voltige, horseball, pony-games, equi-fun, TREC) et donc les outils pédagogiques. Et si tous les enseignants de poney-clubs ne sont pas ouverts à la pédagogie active ou a la discussion pédagogique avec une équipe d'animateurs d'accueil de loisirs, les structures sont suffisamment nombreuses pour que chacun y trouve son bonheur.

Favoriser la relation de |'enfant à l'animal, c'est ouvrir I'enfant à la connaissance de soi, de l'autre, de la vie. C'est lui donner << un lieu d'apprentissage de relations à l'état pur, d'un style originel dont il gardera la mémoire et qu'il essaiera inconsciemment de retrouver et d'e×ercer une fois pan/enu dans I'univers plus complexe des adultes (1)››.

Le cheval peut être un outil, une sorte de « co-éducateur ›› pour ces adultes en devenir, incitant à un autre mode de communication, et au respect aussi, valeurs qui nous font si cruellement défaut par les temps qui courent. Alors pourquoi s'en priver ? Pourquoi les en priver ?

(1). ln L'Anima/ compagnon de /'enfanr, Ange Condoret, p.12.